Le Regard Des Autres

Dès que j`ai acheté ma maison en 1979, j`ai commencé à lui faire subir des changements, à commencer par la brique rouge dont je trouvais des morceaux dans la neige par grands froids et vents. D`ailleurs, la maison était un ancien camps d`été et la brique lui donnait un air de petite école que je détestais.


Et j`ai toujours aimé travailler dehors sur le terrain aussi. Mais un moment donné, surtout l`été, j`ai remarqué qu`un homme en auto ralentissait souvent devant chez moi pour mieux m`observer et parfois même il s`arrêtait sur le bord de la rue et regardait chez moi.

Je ne reconnaissais pas le bonhomme et bientôt sa présence m`irritait autant qu`elle m`effrayait. Alors j`ai décidé de le confronter, mais quand il me voyait venir vers lui, il repartait aussitôt.

Après des années de me faire épier de la sorte, un jour que je m`avançais vers lui, il ne s`est pas enfui. Le coeur battant bien fort, appréhendant la rencontre et voyant que sa fenêtre d`auto était baissée, je lui ai demandé ce qu`il me voulait. D`un air désapprobateur, fronçant les sourcils, il me dit: "C`est affreux ce que tu as fait avec cette maison-là!" puis démarra dans son auto.

Je ne savais pas plus qui il était. Il n`était pas le fils d`un ancien propriétaire précédent: celui-ci m`avait déjà visité et nous nous sommes bien entendus. Alors qui était-ce? Qui était cet homme qui empoisonnait mes étés, me rendant nerveuse et peureuse, moi sur mon terrain à moi? Devrais-je le rapporter à la police?

Bien des années plus tard, je repris contact avec un ancien ami d`enfance. On s`est retrouvés un moment donné aux funérailles de sa cousine, une de mes meilleures amies d`enfance. Et il était là! L`homme inconnu qui m`avait épié pendant des années était là, et mon ami d`enfance me dit que c`était son grand frère! Le grand frère ne m`a jamais adressé la parole cette journée-là, et moi je l`évitais comme la peste.

Après un certains temps, je me confiais à mon ami d`enfance retrouvé et expliquais le comportement bizarre de son grand frère pendant des années. Et au lieu de sympathiser avec moi pour tous ces moments d`effroi que j`ai dû subir, il s`attendrit en disant "Pauvre ti-gars! C`est bien lui, faire des affaires de même!" J`avais commis un crime de lèse-majesté en modifiant la maison où sa première épouse décédée avait grandi.

Alors selon certaines personnes, quand on achète une maison, avant de la modifier, il faudrait consulter tous ses propriétaires précédents et leur famille et leurs amis, pour être bien sûr de ne pas les choquer? Balivernes!